Autant aller directement à la conclusion : vous, les kiteurs, êtes des hurluberlus ! Vous vivez et pensez votre sport comme s'il allait continuer à grimper vers des asymptotes glorieuses et se placer, un de ces beaux jours, parmi les sports reconnus du grand public. Vous ne comprenez pas pourquoi les écolos vous collent aux basques comme la misère sur le pauvre monde ; vous êtes abasourdis quand le M. le maire Tartarin ou M. le préfet Tuche vous ferme un spot ; vous éclatez d'une (saine) colère à chaque fois que votre fédération détourne le regard de vos préoccupations aussi légitimes que quotidiennes. En bref, vous croyez que parce que vous êtes des sportifs d'outdoor, que vous n'offensez pas la nature, que vous n'utilisez que la force du vent accompagnée d'un équipement minimaliste pour vous mouvoir et qu'enfin, cerise blette sur ce cake daubé, vous participez par votre nombre au développement économique de quelques localités... vous pensez que c'est arrivé, ou pour le moins, devrait arriver... ou que ça va arriver : le kitesurf prenant enfin toute la place qu'il mérite dans le cœur et l'esprit du grand public.
Vous rêvez ! ça n'arrivera pas. Le kitesurf est un sport de niche et le restera. Pariez sur le paddle, vous avez une chance de toucher le jackpot. Misez sur le kitesurf, attention aux désillusions !
Pourtant, les spots se remplissent ; les marques se portent plutôt bien ; le marché est actif ; le matériel évolue ; l'innovation n'est pas à la traine ; le modèle s'est déjà décliné (surf, foil) ; les plannings des stages sont pleins en saison ; le windsurf, cousin et concurrent, reste tanké dans les sables depuis plus d'une décennie ; certains événements prennent de l'épaisseur médiatique au fil du temps (Festikite, Mondial du vent) ; l'image même du kitesurf sert de support aux publicités institutionnelles... alors, pourquoi cette déclaration péremptoire mâtinée d'un pessimisme définitif ?
Si tous les pratiquants savent que le kitesurf est accessible au quidam de base disposant d'une condition physique acceptable, d'une part, et de suffisamment de disponibilité pour évoluer vers le niveau débrouillé qui convient à une pratique basique, d'autre part, ce n'est pas pour autant que le ledit quidam va se ruer - avec ses semblables - en masses populacières et ferventes vers les centres d'apprentissage. Le kitesurf souffre de trois maux qui nuisent à son développement :
- l'image d'un sport réservé à des gens disposant de qualités athlétiques au-dessus de la moyenne
- sa dangerosité liée à son essence même : transformer un corps humain en mât support de voile (harnais - donc bonhomme - relié à l'aile).
- la cherté de son équipement.
Cette vision exogène du kitesurf est justifiée. Il faut y être « passé » pour avoir la conviction du contraire. Vu de la plage, c'est joli, ça peut même être enthousiasmant voire éblouissant d'observer ce ballet de couleurs et de figures aériennes, de surfs dans les vagues, etc. Il n'en reste pas moins vrai qu'il faut au badaud une motivation certaine pour franchir le pas. Lorsqu'on n'est pas proche, d'une manière ou d'une autre, de ce milieu de glisseurs super-aquatiques, entrer dans ce cercle peut paraître un challenge inatteignable.
Si l'envie arrive à dépasser le premier a priori négatif sur les qualités réellement requises, la seule évocation de se transformer en homme-mât en rebutera plus d'un. Et quand, a priori vaincu et crainte dissipée, il faudra passer à la caisse dans le premier surf-shop venu (fut-il en ligne, fut-il d'une enseigne de grande distribution) ils ne seront plus bien gros les contingents qui viendront grossir vos rangs.
Le kitesurf est un sport passion. C'est une machine à produire du bonheur et de l'adrénaline. Mais c'est un sport de privilégiés et d'initiés, c'est-à-dire, de personnes capables d'assumer un ensemble de conditions contraignantes. Et il le restera longtemps encore, du moins tant qu'un kitesurf ne sera pas aussi anodin à utiliser qu'un simple cerf-volant comme ceux que l'on peut confier à un enfant. Seule une géniale évolution du matériel pourrait changer la donne. Pour le dire autrement, le kitesurf fait partie de ces sports techniques pour lesquels il y a un ticket d'entrée coûteux (et vous l'avez compris, il n'est pas ici uniquement question d'argent).
Alors, amis kiteurs, demain, l'année prochaine et dans la décennie qui vient, vous verrez probablement de plus en plus votre sport à l'affiche pour vendre une voiture, sur grand écran des James Bond enchainer des double-kiteloop à 20m de haut, des stars ou des politiciens se faire photographier avec votre engin préféré... las, ça ne devrait rien changer à votre quotidien.
Vous devrez longtemps encore, et sans vous en étonner, lutter pour conserver votre accès à l'eau. Vu de l'édile en charge d'une commune, d'un département ou d'une région, vous ne représentez rien, ou pas grand-chose… à part une source d’emmerdements supplémentaires. Il vous perçoit comme autant de tribus désorganisées, composées d’anonymes, malléables à merci et surtout très mal soutenues par vos instances fédérales qui n'ont aucun poids politique face aux lobbies de vos ennemis (écolos, chasseurs, riverains…). Et puis, ce n’est pas forcément contre vous, en particulier, ou contre le kitesurf en général, il y a des élus plus ouverts que d’autres, moins clientélistes, mais ces gens ne peuvent parler qu’à des interlocuteurs de leur niveau : des associations, des organismes publics ou privés, des corps constitués, des fédérations… Pour ces dernières censées vous représenter, c’est bien là que le bât blesse : Vos fédés sont fondées sur d'autres schémas, focalisées sur d'autres préoccupations, habitées par d'autres ambitions. Vos gesticulations individuelles ne les intéressent pas. Leur conception du sport date de Coubertin. Elles ne connaissent que les compétitions, les clubs, les événements d’ampleur. Vous êtes, vous et elles, des étrangers au sein d'une même famille. Parfois, certaines associations de kiteurs bien implantées, aux dirigeants très impliqués, parviendront à tordre un peu le bras des autorités et négocier une sorte de statu quo. Il y a fort à parier que ça ne soit pas la règle mais l’exception.
Il ne faut pas confondre les rêves et la réalité. D'ailleurs c'est heureux, sinon il n'y aurait bientôt plus rien à rêver. Vous êtes vraiment des hurluberlus!
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