Nous vivions au paradis. Nous vivions en harmonie entre la mer et la terre, entre la vague et la montagne, entre l'eau bouillonnante des côtes et l'eau vive des cascades... Et puis un jour, on a coupé notre monde en deux, nous privant le l'océan, nous condamnant à barboter dans des lagons, nous empêchant de surfer comme les dieux païens de nos ancêtres. La mer est devenue mortelle. Désormais, le requin rôde et nous tue. 12 morts en 8 ans.
L'économie du surf à la Réunion est exsangue. L'île est marquée au fer rouge « danger requin ». Et nous ne sommes pas les seuls à en pâtir. Nos plages ouvertes sur la mer sont interdites à la baignade. Même les pêcheurs risquent leur vie.
Les écolos nous disent qu'il n'y a là rien que de plus normal. Que l'océan est le territoire du requin. Qu'on doit laisser la place. Mais nous ne réclamons pas l'immensité de l'océan. Nous revendiquons 200 mètres sur une mince bande côtière pour surfer les vagues comme nous le faisions depuis des lustres. Nous vivions en paix, respectueux de la nature, de la mer et de son peuple. Nous ne pratiquions aucune tradition mortifère dont les poissons auraient été les victimes (pas de corrida de requin chez nous). Nous n'étions que les passagers éphémères des vagues.
On vient nous reprocher, à nous surfeurs, les surpêches, les tueries de requins de par le monde. Qu'a-t-on à voir avec ça ? On nous dit que si quelques écoles de surf ont fermé ça n'est pas si grave, rapport aux autres problèmes économiques de l'île. Sans doute, ce raisonnement s'applique-t-il aussi aux kiteurs métropolitains quand Natura 2000 décide de restreindre l'accès à un de leur spot ? Sans doute le prennent-ils avec la même philosophie... « On ne peut plus kiter ? qu'à cela ne tienne, on va démarrer une collection de timbres !... »
On a identifié différents problèmes qui pourraient attirer ces prédateurs sur nos spots : les rejets de déchets en mer, les eaux turbides, le déversement d'alluvions suite à des fortes pluies, la pollution, la réserve marine... mais qui sait dire exactement la réalité des causes ? Qui sait, et surtout, qui a la solution ?
Certains d'entre nous pensent, par pragmatisme, qu'il faut chasser à nouveau le requin en ces lieux. Nous ne sommes pas tous d'accord sur la méthode.
En revanche, ce qui nous unit c'est la même aversion pour tous ces humains qui pensent que la vie de nos semblables, de nos jeunes, de nos familles, ne vaut pas plus cher que celle d'un poisson.
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